Une arme contre la pauvreté
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La gouvernance démocratique est une des clés du développement. Le rôle majeur que jouent les institutions, les règles et les processus politiques dans la croissance économique et le développement humain sont maintenant reconnus. La lutte contre la pauvreté ne constitue pas seulement un objectif social, économique et technique mais également une mission institutionnelle et politique. Dans la Déclaration du Millénaire, la communauté internationale est parvenue à un consensus sur la pertinence de la bonne gouvernance sur le développement. Ce constat s’accompagne de l’hypothèse que les problèmes du développement sont liés à un échec de la gouvernance.
Les récentes campagnes autour des Objectifs du Millénaire pour le Développement ont non seulement montré le besoin d’engagements financiers plus importants des pays donateurs, mais ont également mis l’accent sur la façon dont cet argent est géré et dépensé.
Cela concerne l’efficience de la gouvernance et des systèmes de gestion publique des pays bénéficiaires, mais également les modalités d’aide. L’efficacité des institutions publiques et la gouvernance sont donc de plus en plus au centre de la réflexion et du travail sur le développement humain. Lorsque les institutions fonctionnent mal, les pauvres et les personnes vulnérables en sont les premières victimes. Le cas de la République Démocratique du Congo en est un exemple : avec un délabrement de l’espace public sans précédent, l’État n’est plus à même d’assumer ses fonctions de base, laissant la population livrée à elle-même.
La démocratie est directement liée à l’idée de la gouvernance. C’est en effet la gouvernance qui doit se conformer aux besoins des individus et non l’inverse. Le principe des élections, et donc de la responsabilité sanctionnable, constitue un élément fondamental de la gouvernance démocratique. Mais les élections ne suffi sent pas, la gouvernance démocratique suppose également un pouvoir législatif qui représente le peuple. Elle nécessite un pouvoir judiciaire indépendant capable de faire respecter l’État de droit de manière égale pour tous les citoyens. Elle requiert des forces de sécurité professionnelles et politiquement neutres et au service de la population. Elle suppose des médias accessibles qui soient libres, indépendants et impartiaux. Et enfin, elle s’appuie sur une société civile active, à même d’interpeller les pouvoirs publics et de proposer des modes différents de participation politique.
Plus qu’un vote
Mais tout comme la démocratie ne se limite pas à la tenue d’élections, la bonne gouvernance ne se limite pas à des institutions publiques plus efficaces. Elle nécessite également le respect des droits de l’Homme et des libertés, le refus de toute discrimination de race, d’ethnie, de religion ou de sexe, l’égalité du genre dans l’espace public comme dans le privé.
Si les gouvernements ont un rôle crucial à jouer dans la réussite des Objectifs du Millénaire et dans la réduction de la pauvreté, il est moins évident de savoir comment obtenir de “bons” gouvernements et de “meilleures” politiques. Comment expliquer qu’un gouvernement dans un pays promeuve la prospérité économique et l’équité alors que d’autres sont au mieux trop faibles, au pire impliqués dans le pillage des ressources du pays ? La démocratie semble fournir une partie de la réponse en ce sens que les plus mauvais exemples de développement ne sont généralement pas des démocraties.
Si la coopération au développement pointe la gouvernance et le développement institutionnel comme des domaines prioritaires et essentiels de la coopération, il manque cependant des lignes directrices, une approche politique et méthodologique partagée sur laquelle les actions de coopération pourraient se fonder. Tout le monde s’accorde sur les principes directeurs de la gouvernance (équité, transparence, participation, réactivité, reddition des comptes, État de droit…), la question de comment traiter ces aspects dans la coopération est beaucoup moins claire.
Il en découle un risque d’autant plus important que la notion de gouvernance renvoie à une multitude de champs et de domaines d’intervention (le système politique et les principes qui s’y rattachent, les droits humains, l’État de droit et la problématique de la justice, les pouvoirs parlementaires, l’administration publique, la société civile et les acteurs non-étatiques, la décentralisation, la problématique du rôle de l’État).
Valeurs communes, processus propre
La gouvernance est un domaine où personne ne possède de recette ou de méthodologie définie. Au-delà des grands principes universels, chaque pays est engagé dans un processus
propre, à la fois fruit d’une histoire particulière et d’un ensemble d’équilibres, d’enjeux et de rapports de force entre des acteurs en permanente évolution. Selon Ousmane Sy, une des causes de la crise de l’action publique, donc de la gouvernance en Afrique, est la panne structurelle des États-nations post-coloniaux (et donc de l’acceptation d’un modèle et d’un manque de vision et de rêve pour le continent). La construction d’une société démocratique, la lutte contre la corruption et la production de richesses partageables pour le bien-être de tous ne peuvent se faire en dehors des valeurs, des normes et de référentiels connus compris et admis des Africains (Ousmane Sy).
Vu son implication dans la sphère du pouvoir et de la gestion publique, la coopération n’en devient pas pour autant politique ou encore moins un outil d’ingérence dans les affaires des états du sud. Elle veille à rester avant tout technique et non politique. Une démocratie ou un fonctionnement de gestion publique qui donne le pouvoir au citoyen doit se construire, et ne peut pas être importé. Comme le type de démocratie et de gouvernance qu’un état entend développer dépend de son histoire et des circonstances locales, les pratiques de la démocratie seront donc nécessairement diverses. La construction d’une démocratie nécessite l’ancrage de valeurs et de cultures démocratiques dans l’ensemble de la société. La coopération au développement a un rôle à jouer dans l’accompagnement et le soutien financier et technique de ce cheminement vers une gouvernance démocratique. Ce rôle est d’appuyer la mise en place de cadres et de contextes permettant d’une part aux gouvernements partenaires d’assumer leurs mandats de manière responsable et efficace, et d’autre part de faciliter la participation de la population.
Bien qu’elle ne soit ni partisane, ni politique, la démarche de la coopération n’en est pas pour autant neutre. En effet, si une grande partie du budget d’un état provient de l’aide au développement, la pression pour rendre des comptes à la population est moins importante que si la part de la taxation dans le budget de l’état est plus élevée. L’aide au développement doit se prémunir de détourner le fonctionnement démocratique en s’assurant que ses modalités respectent et garantissent les systèmes de gouvernance et de reddition des comptes mis en place (parlement, cour des comptes, systèmes judiciaires, autorités locales…).
La coopération au développement doit également accorder une attention particulière aux pays et aux états où un cadre politique et institutionnel n’existe pas. Dans ces états fragiles, caractérisés par des situations d’insécurité ou par des institutions publiques faibles ou peu engagées dans la lutte contre la pauvreté, la coopération a un rôle fondamental pour contribuer à la reconstruction de ce cadre politique et institutionnel. Vu les liens étroits qui lient notre pays à l’Afrique centrale, la réflexion sur l’efficacité de l’aide dans les états fragiles est un des domaines d’intérêt particuliers de la coopération belge.
Alignement et harmonisation de l’aide
Depuis 2000, le secteur de la consolidation de la société s’est développé pour arriver aujourd’hui à 15 % des actions de la coopération bilatérale directe belge. Ce portefeuille sera inexorablement amené à croître. La CTB gère actuellement une trentaine d’actions dans ce secteur dans près de 15 pays. Les domaines d’intervention principaux, qui sont présentés plus en détail dans cette brochure, sont : la justice, la réforme du secteur public (renforcement de l’état), la gouvernance locale et la décentralisation, la sécurité, les finances publiques et la participation des femmes. Pour mener à bien ces appuis au renforcement du fonctionnement des institutions des pays partenaires, la CTB fait appel de façon croissante à l’expertise des institutions publiques belges. Des partenariats ont été développés avec des structures telles que le Service Public Fédéral (SPF) Personnel & Organisation, la Police Fédérale Belge ou encore le SPF Justice.
L’amélioration de la gouvernance et de la gestion publique des états des pays partenaires nécessite également une adaptation des formes et des instruments d’aide. La quête d’une plus grande efficacité conduit les bailleurs et les agences d’aide à responsabiliser les partenaires dans la gestion et l’exécution de l’aide et à contribuer au renforcement des capacités pour exercer cette responsabilité. Cela signifie, entre autres, qu’une part croissante des activités d’aide est destinée au renforcement des capacités de gestion publique des pays partenaires, mais également que les actions d’aide s’intègrent mieux dans les politiques, les procédures et les mécanismes des pays partenaires de la coopération belge. À cet effet, les partenaires au développement ont convenu, lors d’un Forum sur l’efficacité de l’aide en février 2005 à Paris, que le soutien devrait d’une part mieux s’aligner sur les priorités et les systèmes de gestion des bénéficiaires, et d’autre part que les actions des bailleurs devraient être plus harmonisées, transparentes et collectivement efficaces. La Belgique et la CTB sont non seulement parties prenantes de cette évolution mais la CTB veille d’ores et déjà à son opérationnalisation concrète dans le travail de tous les jours.
Ces divers types et formes de soutien doivent permettre aux pays bénéficiaires de sortir de la paupérisation tout en contribuant à construire ou à renforcer l’État de droit. Si la lutte contre la pauvreté est le cœur de l’action de la coopération, la gouvernance en est peut-être le poumon.
Jean-Christophe Charlier
Expert Consolidation de la société à la CTB
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