Femme et migrante, un double handicap
Aujourd'hui, près de la moitié des migrants internationaux sont des femmes et des jeunes filles. (Photo: UNFPA)
Le rapport annuel du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) examine cette année l’impact du travail des femmes migrantes sur les pays d’origine et de destination. Il pointe la vulnérabilité des femmes exposées à la traite des humains et à l’exploitation dans la sphère du travail domestique, appelant les Etats à mieux protéger leurs droits humains. Dans ce rapport, l’UNFPA et l’Institut national d’études démographiques (Ined) livrent un compte rendu analytique des phénomènes migratoires observés sans pour autant prétendre trouver des solutions aux différents problèmes soulevés. Cette expertise doit alimenter la réflexion, les 14 et 15 septembre prochain, lors du Dialogue de haut niveau sur la migration internationale et le développement, qui se tiendra au Secrétariat de l’Onu à New York. Cette réunion qui rassemblera les pays du monde entier aura pour mission d’étudier les nombreux défis et bénéfices de la migration internationale, en vue de lutter contre la discrimination sexuelle, la pauvreté et le besoin.
Les femmes représentent aujourd’hui près de la moitié des migrants internationaux dans le monde. Elles sont au nombre de 95 millions à émigrer d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes, et de plus en plus d’Afrique, vers l’Europe et l’Amérique du Nord, les Etats du Golfe et les pays d’Asie en voie d’industrialisation, à travailler et payer des impôts. Travaillant loin de leurs pays -et dans des conditions souvent peu enviables- elles ont envoyé l’an dernier l’équivalent de quelque 200 milliards d’euros dans leurs foyers et communautés pour nourrir et éduquer les enfants, fournir des soins de santé, construire des maisons, améliorer en somme le niveau de vie des familles restées au pays. Ces deux cent milliards d’euros représentent le double de l’aide publique au développement. Ainsi, le rapport stipule que les femmes bangladeshis travaillant au Moyen-Orient ont envoyé chez elles en moyenne 72% de leur salaire et 56% de ce total ont été affectés aux besoins quotidiens, aux soins de santé et à l’éducation.
Les situations des femmes migrantes sont très diverses selon, par exemple, qu’elles sont employées de maison ou travailleuses agricoles, qu’elles travaillent dans des ateliers ou … sur le trottoir, ou bien encore qu’elles sont qualifiées comme infirmières, médecins ou enseignantes. Ce faisant, les problèmes rencontrés par ces femmes sont variés mais dans la plupart des cas leur travail passe inaperçu ou n’est pas reconnu. Cette précarité accroît leur vulnérabilité et les expose parfois à des cadences infernales et à des violences diverses. Ainsi chaque année d’après le rapport, de 600 000 à 800 000 femmes, hommes et enfants sont emmenés hors de leurs pays par les trafiquants de commerce humain et, sur ce chiffre, 80% sont des femmes et des filles. Ce trafic représente la troisième forme de commerce illicite dans le monde après celui des armes et de la drogue.
Améliorer les législations contre l’oppression et la discrimination
Le rapport entend attirer l’attention des gouvernements sur la nécessité d’améliorer leur protection juridique. «Des millions de migrantes affrontent des risques qui témoignent du manque de protection adéquate des droits et ne peuvent pas émigrer sans danger et légalement», déclare Thoraya Ahmed Obaid, directrice exécutive de l’UNFPA. Le Dr Yves Bergevin, conseiller principal des programmes de santé de la reproduction à la Division Afrique de l’UNFPA, souligne que ces femmes ne peuvent pas assurer leur autonomie, contraintes parfois à rester avec des maris violents faute d’indépendance économique, ou à subir des humiliations voire des viols pour conserver un emploi précaire et rester dans la clandestinité. Ainsi, souligne-t-il, faire évoluer les législations sur le viol des droits humains dans les pays hôtes reviendrait à «ouvrir les portes d’un monde nouveau où les femmes jouissent d’une plus grande égalité et souffrent moins de l’oppression et de la discrimination» ce qui, par ricochet, devrait pouvoir faire évoluer le droit dans les pays d’origine.
Si le migrant rêve d’Eldorado c’est que la plupart du temps la vie est trop rude dans le pays d’origine et «les pâturages lointains, même s’ils ne sont pas forcément plus verts, représentent de toute façon une amélioration des conditions de vie comparativement à celles en vigueur dans le pays d’origine», souligne le Dr Yves Bergevin. Toutefois ces migrations peuvent peser très lourd en déficit dans le pays d’origine comme l’illustre le secteur de la santé. Le départ massif des infirmières, sages-femmes et médecins des pays pauvres pour les pays riches est l’un des problèmes les plus difficiles que pose aujourd’hui la migration internationale. Des systèmes de santé qui s’effondrent, des salaires guère attractifs, une pénurie chronique de fournitures de base et d’équipement sont autant de facteurs qui incitent au départ et qui affaiblissent le pays.
Une réflexion politique s’impose
En conséquence de quoi on observe à la fois une désertion des professions de santé comme c’est le cas au Ghana, une aggravation de la prise en charge des malades et un accroissement du taux de mortalité dans certains pays comme le Zimbabwe. En 2000, le Ghana a vu deux fois plus d’infirmières partir que recevoir leur diplôme et, deux ans plus tard, le ministère de la Santé évaluait à 57% le taux de vacance des postes dans la profession. Au Zimbabwe, la mortalité maternelle a quadruplé en dix ans à cause de centres de santé de plus en plus vides et d’un nombre insuffisant de professionnels de la santé pour assurer les soins obstétricaux de base tels que soins postopératoires, contrôles d’hémorragies, césariennes, etc.
Les pays se modernisent et s’urbanisent. L’écart des conditions de vie entre pays riches et pays pauvres se creuse ce qui incite les plus démunis au départ. A l’heure de la mondialisation, alertent les démographes, il faut veiller à renforcer la répartition sur les territoires. Une réflexion politique internationale et concertée s’impose pour éviter d’un côté l’hémorragie néfaste au pays d’origine et, de l’autre, une émigration massive et mal contrôlée générant des problèmes d’insertion. «Bien gérée, insiste le démographe à l’Ined Jacques Véron, la migration peut être facteur de développement, de réduction de la pauvreté et de progrès dans la protection des droits humains». Cette «bonne gestion» de l’immigration implique une concertation entre pays hôtes et pays d’origine.
par Dominique Raizon
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