Disparition du romancier Naguib Mahfouz

(Photo : AFP)
Naguib Mahfouz est mort. Le romancier s’est éteint à l’âge de 94 ans, au Caire où il était hospitalisé depuis le 19 juillet. Ceux qui ont eu le privilège de le rencontrer avant sa mort évoquaient sa petite taille, sa fragilité. La vie semblait s’être retirée loin à l’intérieur de cet être si frêle en apparence mais si fécond dans le domaine de la littérature. Aujourd’hui, lorsqu’on pense à Naguib Mahfouz c’est son œuvre immense qui vient à l’esprit. Le petit homme du Caire laisse derrière lui une œuvre gigantesque, composée de 50 romans et recueils de nouvelles.
Naguib Mahfouz est né au Caire en 1911 dans le vieux quartier de Gamâleya. Dernier enfant d’une fratrie plus âgée, il grandit en fils unique chez des parents issus de la petite bourgeoisie. Comme nombre d’enfants esseulés, il développe très jeune un goût marqué pour la lecture et montre des goûts éclectiques qui le transportent de la littérature occidentale à la philosophie en passant par les lectures scientifiques. En 1919, cet enfant curieux assiste au soulèvement populaire contre la présence anglaise et à la sanglante répression qui s’ensuit. Ce bain de sang marquera durablement son esprit. Lui-même dira plus tard que sa conscience politique est née durant ces terribles journées.
Quelques années plus tard, sa famille quitte le quartier de Gamâleya pour celui, plus résidentiel d’Abbâsseyya. Mais le jeune Mahfouz restera indéfectiblement attaché aux rues qui l’ont vu naître au point d’y situer une large part de son œuvre. En 1930, il fréquente l’université du Caire où il obtiendra une maîtrise de philosophie. Ses études achevées, il entame une carrière dans l’administration, qu’il n’abandonnera pas, même une fois devenu l’écrivain de renom que l’on sait.
Les pharaons d’abord
S’il a publié quelques nouvelles, un genre qui lui est cher, dans la presse durant ses études, Naguib Mahfouz consacre ses premiers ouvrages à la civilisation et à l’histoire de son pays. L’Egypte ancienne (1932) précède La Vanité des destins (1939), Radôbîs (1943) et Le Combat de Thèbes (1944). Ensuite, l’auteur publiera un roman presque chaque année de sa vie excepté pendant les périodes où il est occupé à réfléchir à une nouvelle orientation de son œuvre. Ainsi son souci d’innovation perpétuelle le conduit-il à publier en 1948 Le Mirage, un livre qui emprunte largement aux théories freudiennes sur la psychanalyse.
Le point d’orgue de son œuvre dans le style réaliste sera la célèbre trilogie (Impasse des deux Palais (1956), Le Palais du désir (1957) et Le Jardin du passé (1957) qui emmènent le lecteur sur les traces d’une famille de la moyenne bourgeoise cairote entre 1917 et 1944. L’ensemble est prétexte à la création d’une fresque à la fois historique et naturaliste telle qu’il n’en existe aucune jusque-là dans le roman arabe. Ensuite Mahfouz réalisera de nouvelles prouesses stylistiques en empruntant toujours à des genres nouveaux. La richesse de son œuvre est telle qu’Edouard Saïd a écrit à son propos «Il n’est pas seulement un Hugo ou un Dickens mais aussi un Galsworthy, un Mann, un Zola et un Jules Romain.»
Premier Nobel arabe
Des décennies d’écriture menées dans la discrétion, au prix d’une discipline sans faille et d’une hygiène de vie rigoureuse vont faire du petit homme, par ailleurs fonctionnaire modèle, un écrivain de renommée mondiale. Sa notoriété s’étend rapidement bien au-delà du monde arabe et l’écrivain cairote est traduit en anglais, en français et dans de nombreuses autres langues. L’âge venant, Naguib Mahfouz se passionne toujours pour l’être humain, ses richesses et ses vicissitudes. Il collabore également au célèbre journal al-Ahrâm et anime les cercles de la vie littéraire égyptienne. Son observation de la vie sociale enrichit ses nouvelles œuvres et les années qui passent n’enlèvent rien à l’acuité de son regard. Désireux d’inscrire la littérature dans l’histoire, il sait aussi questionner celle-ci et les pouvoirs en place. L’un de ses livres Awlad Haratina, (1959), jugé trop iconoclaste, est aujourd’hui encore interdit en Egypte. Il sera pourtant beaucoup pardonné à l’écrivain qui, en 1988, reçoit le premier Prix Nobel de littérature décerné à un auteur de langue arabe.
Rescapé en octobre 1994 d’un attentat islamiste qui a failli lui coûter la vie, Naguib Mahfouz avait choisi de vivre ses dernières années en reclus. Mais l’homme qui ne sortait plus guère écrivait et dictait toujours nouvelles et réflexions. Autant de trésors que ses fidèles lecteurs attendent comme un ultime message.
par Geneviève FIDANI
Article publié sur www.rfi.fr le 30/08/2006
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