Mamadou Dia, l’homme du refus
Le Sénégal vient de perdre l’un des artisans de son indépendance, Mamadou Dia, qui est décédé, dimanche à Dakar. Cet homme, que l’histoire a souvent laissé dans l’ombre de Senghor, a pourtant joué un rôle capital dans la construction du Sénégal moderne.
Khombole. Sur la ligne de chemin de fer, après Thiès. C’est là que Mamadou Dia a vu le jour. L’historiographie a souvent retenu pour sa naissance la date de 1910… alors, expliquait-il, que « les papiers de mon père que j’ai retrouvés indiquent que je suis né en juillet 1911. » (1) C’est en fait une ruse d’un enseignant qui l’a fait vieillir d’un an sur les documents officiels. Un enseignant bien décidé à lui permettre de passer le concours de l’école normale supérieure William Ponty, alors qu’il était trop jeune pour être candidat. « C’est ainsi que, pour les besoins de la cause, je suis depuis lors réputé être né en 1910. » Il sera admis à William Ponty. Reçu premier de l’AOF, l’Afrique occidentale française.
L’instituteur Mamadou Dia passe à Saint-Louis Fissel, et rejoint en 1943 Fatick où on lui confie la direction de l’école régionale. Il se jette à corps perdu dans son métier d’enseignant et se trouve bien loin, à l’époque, de la politique : « Je ne faisais pas de politique, parce que je détestais la politique », confiera-t-il plus tard. Quand Léopold Sédar Senghor vient à Fatick pour présenter sa candidature à la députation, il l’interpelle sur la place du marché : « Je ne comprends pas que vous, jeune agrégé, au lieu de vous soucier de prendre la direction de l’enseignement en Afrique, vous vous préoccupiez d’avoir un mandat politique ».
Contestataire et contre la politique
Réticent à l’engagement politique, Mamadou Dia est cependant engagé dans le combat d’idées. Il écrit pour des journaux « Dans mes articles de presse, je présentais de plus en plus les problèmes et les revendications des paysans. Je décrivais la misère qui régnait chez eux ». Ses articles portent souvent sur les questions économiques. Il y explique notamment que la voie idéale pour l’émancipation des paysans est leur organisation en coopératives, une idée qui marquera durablement sa pensée politique.
A l’époque, Mamadou Dia est en réaction avec la SFIO (la Section française de l’internationale ouvrière, l’ancêtre du Parti socialiste français), qui n’a selon lui « de socialiste que l’étiquette ». C’est pourtant par la SFIO qu’il fait son entrée en politique. Il y entre à la demande des habitants de Fatick qui souhaitent qu’il soit candidat à l’Assemblée du Conseil général. Il est parrainé par Senghor et un notable de la région du Sine Saloum, Ibrahima Seydou Ndaw. Il est élu au Conseil général.
Au sein de la SFIO, les relations deviennent de plus en plus difficiles entre Lamine Guèye, qui tient la direction fédérale, et un groupe de contestataires qui gravite autour de Senghor. Mamadou Dia est l’animateur et le porte-parole de ce petit noyau de résistance en l’absence de Senghor, qui doit souvent être à Paris en raison de son mandat de député. Il accompagne ensuite Senghor au moment de sa démission de la SFIO, annoncée par lettre le 27 septembre 1948. Les dissidents créent le BDS.
Les premières sections s’implantent, le congrès constitutif a lieu à Thiès, du 15 au 17 avril 1949. Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor seront les deux têtes du nouveau parti. Ils le conduiront au pouvoir, au fil du temps et des mutations (BDS, BPS, UPS)
Artisan de l’indépendance
Mamadou Dia accompagnera véritablement l’Etat sénégalais pendant ces années de décolonisation. Après le vote de la loi-cadre Defferre de 1956, il occupe les fonctions de vice-président du Conseil de gouvernement du Sénégal. Quand le Sénégal passe de la semi-autonomie à l’autonomie, il devient président du gouvernement du Sénégal.
Il est l’un des principaux acteurs du dénouement de la crise de la Fédération du Mali, qui conduira à la proclamation de l’indépendance du Sénégal. L’un de ses proches collaborateurs, Roland Colin, raconte dans un livre de mémoires Sénégal, notre pirogue (2), la nuit du 20 août 1960 à l’issue de laquelle le Sénégal décide de se détacher de la Fédération du Mali, après que Modibo Keita eut tenté de prendre le contrôle des institutions. Mamadou Dia joue dans ce récit un rôle central : « Mamadou Dia vient de rentrer de Thiès peu après 23h00 et prend fermement les commandes. Il convoque l’Assemblée du Sénégal pour siéger en séance extraordinaire, prend la direction du déploiement militaire et décide de tenir un conseil des ministres sur le champ ».
Les députés parviennent à se réunir sur le coup d’une heure du matin : « Sur proposition de Mamadou Dia, l’Assemblée vote une série de lois capitales : la première abroge les transferts de compétence au bénéfice de la Fédération et proclame l’indépendance de la République du Sénégal ; une seconde loi instaure l’état d’urgence sur tout le Sénégal. »
L’indépendance proclamée, Mamadou Dia est investi président du Conseil de gouvernement (chef de gouvernement). Il met en place le premier plan de développement du Sénégal, s’efforce de mettre en place une administration modernisée, ou de faire avancer un islam éclairé. Sa politique lui vaut des inimitiés, qui précipiteront sa chute.
Profonds désaccords avec Senghor
Cette chute n’est cependant rendue possible que par la dégradation des relations entre Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor, entre les deux têtes de l’Etat sénégalais indépendant.
Les deux hommes ont déjà connu de profonds désaccords, notamment quand le général De Gaulle a proposé le référendum de 1958 sur la communauté française. Les deux hommes s’étaient alors opposés dans un débat d’idées de plusieurs heures à Gonneville-sur-Mer en Normandie (nord-ouest de la France). Senghor veut alors le maintien dans la communauté, Dia souhaite la rupture. Senghor tranche le débat en avouant qu’il a déjà pris des dispositions pour faire voter « oui ». Et qu’il a déjà fait des promesses au gouvernement français.
Mais au début de ces années 60, les désaccords s’approfondissent, notamment sur les orientations à donner au pays et la politique menée par Dia. « Senghor lui-même ne disait rien sur ces réformes ; il n’exprimait pas son hostilité, mais je sentais qu’il n’était point enthousiaste : il restait froid. Cependant, il se faisait de temps en temps l’écho d’amis qui se plaignaient que ma politique ‘était en train d’apeurer les capitaux et qu’à la limite elle les ferait fuir’ ».
Mamadou Dia persiste et le prouve dans un discours qui va pousser ses détracteurs à l’action. Le 8 décembre 1962, il prononce à Dakar l’allocution de clôture d’un colloque international intitulé « les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme ». Il y réaffirme ses thèses. Proclame notamment la nécessité du « rejet révolutionnaire des anciennes structures ». Et appelle à « concevoir une mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». A la suite de ce discours, une partie des députés décide de passer à l’attaque et dépose une motion de censure.
Dia pense que la motion est irrecevable, parce que conçue en dehors des structures légales du parti et formulée dans un contexte d’état d’urgence. Il demande que le Conseil national du parti puisse l’examiner. Senghor, lui, souhaite que l’Assemblée se réunisse pour examiner la motion.
Mamadou Dia tente d’empêcher la tenue de cette réunion. Le lundi 17 décembre 1962, il fait évacuer l’Assemblée et déploie un cordon de gendarmerie autour du bâtiment. Quatre députés sont arrêtés. Mais la motion est tout de même votée dans l’après-midi du 17 au domicile du président de l’Assemblée, maître Lamine Guèye. Le 18, Mamadou Dia et ses compagnons dont arrêtés par un détachement de paras-commandos.
Mis en accusation, il est jugé du 9 au 13 mai 1963 par la Haute Cour. Il est défendu par plusieurs avocats, dont l’actuel président sénégalais, Abdoulaye Wade. Il est condamné à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée. Il est transféré à Kédougou.
Mamadou Dia sera libéré douze ans plus tard, en 1974. Sans jamais retrouver l’importance politique qu’il avait lors de l’indépendance, il a continué depuis à jouer le rôle d’intellectuel et de figure morale.
Article de Laurent Correau - rfi - publié le 26/01/2009
(1) Afrique, le prix de la liberté, L’Harmattan, 2001
(2) Sénégal notre pirogue, Présence Africaine, 2007
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