14.4.08

La décharge de Doumanzana à Bamako

Chaque année, environ 250 000 m3 de déchets solides sont produits à Bamako et il faut s’en débarrasser. Une partie est brûlée, une autre partie est jetée illégalement dans le fleuve, quitte à refouler le problème aux villes situées en aval. Mais que faire avec le reste? Une partie arrive à Doumanzana.
250 000 m3 déchets solides par année

La décharge de Doumanzana se situe tout au Nord, au bord de la ville, à un endroit où les blancs s’aventurent rarement ; avec une étendue de 10 ha, c’est la plus grande décharge publique de Bamako. On trouve des ordures, constituées surtout de matière plastique, à n’importe quel endroit, dans les rues et dans les jardins, dans les caniveaux, le long du fleuve, dans le fleuve. Il existe des dépôts illégaux, situés par exemple dans des terrains vagues, sur lesquels les ordures s’accumulent. Mais il existe aussi des décharges publiques, ouvertes à tout le monde.

Le service de voirie est réglementé dans la plupart des quartiers. Les communes (Bamako est divisée en 6 communes) n’ont pas de moyens, ou bien la volonté de s’en occuper manque. Mais la population s’en charge elle-même. L’approche n’est cependant pas écologique, mais économique. Ce ne sont pas des syndicats d’initiative ou des ASBL, mais des Groupements d’Intérêts Economiques (GIE), auxquels les communes ont donné la permission d’enlever les ordures.

Deux à trois fois par semaine, les GIE utilisent de petits chariots circulant d’une maison à l’autre pour enlever les ordures. Ces chariots peuvent être attelés à un âne ou, plus rarement, à un tracteur, mais la plupart du temps ils sont tirés à la main et transportent ensuite les déchets sur les décharges officielles. Ce service coûte 1500 FCFA (2,3 EURO) par mois. C’est de cette manière qu’à peu près 50% des déchets sont enlevés.

Le Projet MLI/009 travaille principalement dans le domaine « Assainissement et Environnement » et vise la Commune 2. L’objectif est l’implication des populations dans la gestion quotidienne de leur environnement. Grâce au renforcement de la société civile, en collaboration avec la commune, la population doit s’occuper elle-même de l’assainissement de son cadre de vie et s’en sentir responsable. Même si le projet est réalisé principalement dans la Commune 2, deux de ses activités sont programmées sur le lieu de la décharge. L’activité actuelle, financée par le projet, consiste dans un « Projet de valorisation des déchets solides par la récupération » ; elle est planifiée et réalisée par la coordination des GIE de la Commune 1. Assistant technique junior, je suis chargé de faire le suivi de cette activité.

Tienta, le chauffeur, m’y conduit avec la voiture du projet. A cause du trafic plutôt chaotique, notre trajet dure presque une heure ; nous traversons des quartiers très pauvres, faits de cabanes en argile comme un village en pleine ville. Au dehors, il fait 40 degrés et dans la voiture, il fait bien frais à cause de la climatisation. Je regarde les enfants qui courent dans les ruelles et eux me regardent à leur tour, en se demandant ce que ce toubabou peut bien vouloir faire dans leur quartier. Personne ne vient mendier parce qu’ici les touristes ne s’aventurent jamais et que ces enfants n’ont pas l’habitude de demander des „cadeaux“ ou un « bici ». Comme les fenêtres de la voiture sont fermées, je ne peux pas sentir la décharge, mais je la vois de loin, annoncée par une fumée blanche et noirâtre : La décharge est en train de brûler.

La décharge brûle souvent

Beaucoup plus de cent personnes travaillent sur le site, dans le but de récupérer des objets. La plupart d’entre eux sont des femmes et des enfants,


de même qu’un fermier avec son troupeau de vaches en train de chercher sa nourriture.

Scène « idyllique ». Un Peul avec son chapeau traditionnel et ses vaches.

On ramasse tout ce qui peut être utilisé ou vendu : tissus, bouteilles, sacs à dos, déchets électriques, boîtes, pièces métalliques et tant d’autres. Cependant, les produits « valables » n’arrivent généralement pas à la décharge, mais sont déjà sélectionnés, manipulés et vendus avant.
Objets récupérés


Des poupées blanches pour des petites filles noires

Voilà pourquoi le plus grand pourcentage de déchets est constitué par de la matière plastique, matière ne pouvant pas être transformée directement. C’est ce produit qui est surtout ramassé, principalement sous forme de sacs d’emballage, parce que des usines l’achètent et le refondent pour en faire des seaux.

Le site se trouve dans une carrière désaffectée ayant servi à l’extraction de sable et de pierres. A une certaine époque, la production s’arrêta, le site était abandonné, et la cavité se remplissait d’eau, en provenance de la nappe phréatique. Plusieurs accidents se produisirent, des gens se noyèrent, et la population fit pression sur la commune pour que celle-ci s’en occupe. Mais que faire ? On développa un plan « superbe » : D’un côté, nous disposons d’une cavité volumineuse et potentiellement dangereuse, située à proximité d’un quartier d’habitation, d’un autre côté, nous avons une énorme quantité de déchets dont ne savons que faire. Pourquoi ne pas simplement remplir la cavité au moyen des déchets, résolvant ainsi les deux problèmes en même temps ?
On n’était pas dans les années cinquante ni soixante, mais en 1999.

On a trouvé aussi un bailleur pour financer le projet. Une importante ONG européenne l’a soutenu financièrement. Les déchets devaient être déposés au fond ; on voulait mettre une couche de déchets, qui devait être comprimée, ensuite une couche de latérite, à comprimer également, etc. Le site devait être fermé à l’aide de fils de fer. Des récipients spéciaux en béton, portant un grand panneau avec le nom de l’ONG, furent construits pour y faire du compostage. En 2002, on a fêté officiellement l’ouverture de la décharge.

La pancarte de la Commune avant l’ouverture officielle est encore sur le site

Mais, on ne sait pas pourquoi, le projet ne fonctionnait pas comme prévu. Le fil de fer avait disparu au bout d’un court laps de temps, personne ne sachant qui était le voleur. Les déchets amenés à la décharge n’étaient pas poussés au fond du trou à l’aide d’un bulldozer, mais restaient à l’entrée du site. On ne les comprimait pas, on laissait de côté les couches de thérite, et le compostage fut rapidement abandonné.

En 2005, ce fut le tour du deuxième bailleur ; il s’agissait d’une ONG américaine. Celle-ci construisit un mur d’enceinte que personne ne pouvait voler, et des toilettes pour les gens qui récupéraient des objets sur le site. D’autre part, elle finançait du matériel pour améliorer le transport des déchets. Ce deuxième projet fonctionnait mieux. Le mur existe toujours et les véhicules, portant le nom de l’ONG américaine, circulent encore sur la décharge.

Mais d’autres problèmes restent à résoudre. L’entretien par les bulldozers est très cher, le site n’est pas correctement géré, tout le monde amène ce qu’il veut et à l’heure qui lui convient et les déchets s’accumulent à l’entrée de la décharge.

Les ordures se tassant à l’entrée, le mur de l’enceinte va bientôt s’écrouler

Au fond de la cavité, il y a toujours de l’eau et il y a toujours des gens qui se noient. Il y a cependant une évolution en ce qui concerne l’eau elle-même : elle n’est plus une substance ennuyante inodore et incolore, mais elle a maintenant une belle couleur noire brillante et une odeur intéressante. Les habitants du quartier environnant feraient cependant mieux de ne pas boire l’eau des puits aux alentours.

La nappe phréatique envahissant l’ancienne carrière a connu un développement remarquable

En août 2006, la commune a transféré la gestion du site à la coordination des GIE. En principe, ce transfert correspond tout à fait à l’esprit du « private-public partnership » prôné par la Banque Mondiale, mais, en réalité, une commune complètement dépassée a transféré la gestion à un groupement lui-même dépassé et n’ayant pas les moyens de réaliser ce travail de manière correcte. La privatisation et le transfert des responsabilités publiques semblent toujours décrits de manière plus positive dans les rapports de la Banque mondiale?

Le projet MLI/009 ne peut pas changer beaucoup à la situation. Cependant, l’idée de base du projet, qui consiste dans le renforcement de la société civile, est également présente dans les activités réalisées sur la décharge. Les récupérateurs travaillant sur la décharge devront s’organiser pour fonder une association. Jusqu’ici, ils vendaient individuellement la matière plastique récupérée aux usines. Cependant, celles-ci cherchent à abaisser le prix, ou bien, refusent une grande partie du plastique qui leur est proposé. Les individus peuvent seulement s’appuyer sur eux-mêmes et n’ont aucune chance de s’imposer.

La matière plastique pourra être stocké et triée sur la décharge elle-même ; les travailleurs seront protégés contre le soleil par une espèce de hangar construit sur le site. Les membres pourront vendre la matière plastique à l’association, à un prix fixe garanti, et l’association pourra la revendre en gros aux usines. De cette manière, la position de base pour la négociation du prix et la discussion des conditions est bien meilleure. En même temps, les récupérateurs reçoivent une formation concernant les risques pour la santé liés à leur occupation et on leur distribue des gants et un masque respiratoire.

Quel avenir attendra les récupérateurs travaillant sur la décharge, quand le projet sera achevé, les comptes clôturés, les véhicules vendus, les rapports terminés, et lorsque le dernier évaluateur sera parti? Est-ce que l’Association des récupérateurs existera encore au bout de 3 ans ou est-ce que le panneau du projet se couvrira de rouille sur la décharge, pareillement aux panneaux de la commune et des deux autres bailleurs internationaux ? Il faut espérer que du moins la situation des récupérateurs se sera un peu améliorée.

Entre-temps, le district de Bamako est de plus en plus d’avis que la mise en place de la décharge sur ce site n’était pas une très bonne idée. Une grande décharge, avec protection intégrée pour la nappe phréatique, est programmée à 35 Km de Bamako, mais sa réalisation n’en est pas pour demain. Il existe également des initiatives pour résoudre le problème à la racine, c’est-à-dire pour mettre en place des actions concrètes de sensibilisation des gens, afin qu’ils produisent moins de déchets et utilisent surtout moins de matière plastique. Mais l’éducation à l’environnement est un domaine assez difficile ; l’exemple du Luxembourg est instructif à ce sujet.

Charel Schiltz
Assistant Technique Junior
MLI/009
Mars 2008

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