26.3.07

Dakar-Ziguinchor, de la haute mer au fleuve Casamance

Dakar-Ziguinchor, de la haute mer au fleuve Casamance


Le Wilis assure la liaison maritime Dakar-Ziguinchor deux fois par semaine. (Photos : S. Biville / RFI)


Depuis novembre 2005, le Wilis assure la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor. Il succède au Joola, qui a coulé au large des côtes gambiennes en septembre 2002 avec quelque 2 000 passagers à bord. Reportage à bord du Wilis affrété par la Société maritime de l’Atlantique qui a multiplié les mesures de sécurité.

Il est 19h au port de Dakar. Les passagers embarquent à bord du Wilis, direction Ziguinchor,  en Casamance, où l’arrivée est prévue le lendemain vers midi. Depuis 16 mois, le Wilis assure, deux fois par semaine, la liaison maritime Dakar-Zinguinchor. Il a fallu du temps aux Sénégalais pour adopter ce nouveau bateau.


Dans la cabine de pilotage, le capitaine de bord indonésien est assisté d'un pilote de rivière sénégalais.


Lorsqu’il entre en service, en novembre 2005, le Wilis, qui porte le nom d’une montagne d’Indonésie, son pays d’origine, a un lourd défi à relever : succéder au Joola, qui a coulé au large des côtés gambiennes le 26 septembre 2002. 65 rescapés, près de 2 000 morts… quatre fois plus que le nombre de passagers autorisés ! Le naufrage du Joola est aujourd’hui encore un traumatisme pour tous les Sénégalais. Chacun d’entre eux a perdu un parent ou un ami dans le drame.

Billetterie informatisée, navigation par satellite. La Société maritime de l’Atlantique (Somat), qui gère le Wilis, joue la carte de la sécurité maximale. «La vente de billets est bloquée automatiquement au-delà de 462 places, la capacité du navire», explique Jacques Iyok, conseiller en communication à la Somat. Partenariat public-privé, la Somat est détenue à 51% par une entreprise maritime marocaine, à 49% par le Port autonome de Dakar et le Conseil sénégalais des chargeurs. Elle gère le Wilis à titre provisoire, en attendant la livraison, prévue pour décembre 2007, d’un nouveau bateau, plus grand, actuellement en construction en Allemagne.

21h30. Le Wilis vient de quitter Dakar et se dirige vers la haute mer. Il faudra 16h pour rejoindre Ziguinchor. Dans le dortoir des femmes, les cris des enfants se mêlent aux potins conjugaux. Tout le monde salue la qualité du service à bord. Lorsqu’on évoque le Joola, les visages se figent. «Notre cœur est resté avec ceux qui sont sous l’eau», explique une dame âgée. Le Dr Awa Bathili, médecin de bord, se souvient avoir dû gérer des cas de stress post-traumatique lors des premières rotations du bateau. Lorsque ça tangue un peu, on ressent une angoisse chez certains. Mais ceux qui voyagent aujourd’hui à bord du Wilis ont su vaincre la peur des débuts.

21h50.  Henri-Philippe et son oncle Ephrème pique-niquent près du bar, avec les victuailles et boissons qu’ils ont achetées avant d’embarquer. Ils pestent contre les prix pratiqués à bord. «Ce n’est pas à la portée des bourses de paysans casamançais !». Ils assurent avoir totalement tourné la page du Joola. «En Afrique, on enterre et puis on oublie, il n’y a pas de pierre tombale», affirme Ephrème.

Le bar est le lieu stratégique du Wilis. C’est le point de rencontre, ouvert quasiment toute la nuit. Dans la salle enfumée, Amadou joue à la belote avec des amis. Ce commerçant a perdu près d’un million de francs CFA dans le naufrage du Joola. Il attend toujours le dédommagement. Aujourd’hui, ses affaires tournent au ralenti. Le Wilis n’accepte plus les marchands à bord. Et Amadou craint toujours de prendre la route Dakar-Zinguinchor, via la Gambie, à cause, dit-il, des attaques des rebelles indépendantistes du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance).

Il est minuit. La plupart des voyageurs sont couchés. Yaya Baldé, responsable de la sécurité à bord du Wilis, effectue, comme toutes les heures, sa ronde de nuit, pour vérifier qu’il n’y a pas d’anomalie à bord. Nous sommes au large des côtes gambiennes. C’est à peu près dans cette zone et à cette heure-ci que, le jeudi 26 septembre 2002, le Joola a chaviré, dans une mer déchaînée, avec 2 000 personnes à bord.


Le Wilis remonte le fleuve Casamance aux rivages mangés par la mangrove.


7h. Le jour se lève. Le Wilis quitte la haute mer et commence à remonter le fleuve Casamance. On est aux antipodes du décor urbain du port de Dakar. Sur chaque rive du fleuve, s’étale la mangrove, riche en fruits de mer et en poissons. Surgies de cette intense verdure, des dizaines de pirogues font leur apparition. Dans la cabine de pilotage du Wilis, c’est parfois un véritable casse-tête pour slalomer entre ces petites embarcations de bois. «On se salue, les pêcheurs lèvent la main, on fait entendre la corne de brume», raconte Abdoulaye Sarr, élève officier à bord du Wilis.

8h15. A tribord, on aperçoit l’île de Carabane. C’est là que se sont installés les Français lorsqu’ils ont débarqué en Casamance, au début du XIXe siècle. Vestige de leur présence, une église de style breton, érigée en 1897, tient encore tant bien que mal debout sur l’île. C’est la plus ancienne de la région. Longtemps, le bateau Dakar-Zinguinchor s’est arrêté à Carabane, pris d’assaut par les pirogues pour débarquer des produits achetés à bas prix à Dakar et embarquer les banas-banas (marchands) et leur poisson fumé. Aujourd’hui, avec le Wilis, sécurité oblige, l’étape a été supprimée, en attendant la construction d’un hypothétique ponton pour accoster. Et l’île de Carabane se meurt peu à peu.


A l'approche de Zinguinchor, les passagers viennent sur le pont, contempler le paysage casamançais.


9h40. Tout le navire est maintenant réveillé. Sur le pont, les discussions sont animées. Bouba s’emporte quand il évoque le Joola : «Le naufrage était prévisible, le vrai problème, c’était le népotisme et la corruption, une gestion scandaleuse !» s’exclame-t-il, sous le coup de la colère. Par contraste, il salue l’ordre et le confort du Wilis. D’autres passagers se montrent plus nostalgiques. Ils regrettent l’atmosphère, les concerts, les odeurs du Joola et trouvent le nouveau bateau trop aseptisé.


Après seize heures de voyage, le Wilis accoste à Ziguinchor, en Casamance.


11h30. Après 16h de voyage, le Wilis accoste à la gare maritime de Ziguinchor. Les taxis collectifs et les pirogues viennent chercher les passagers en transit vers d’autres villages de Casamance. Joseph Pereira rejoint la terre ferme avec un certain soulagement. C’est la première fois qu’il prend le bateau depuis le naufrage du Joola, dans lequel a péri sa mère. «Jusqu’à aujourd’hui, maman est portée disparue, je n’ai toujours pas vu son cadavre», confie-t-il. Aujourd’hui, il a franchi un cap dans le travail de deuil. «Je n’ai pas de haine en moi, c’est ce qui devait arriver, je prie le ciel que son âme repose en paix», ajoute-t-il avec fatalisme. 

par Sylvain  Biville
Article publié le 25/03/2007 sur RFI.fr
[25/03/2007]

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5.3.07

Développement

De nouveaux financements du développement à l'essai

24e sommet Afrique-France
En décembre 2005, la France décide d’instaurer une taxe sur les billets d’avion.

Appliquée à partir du 1er juillet 2006, la taxe est acquittée sur tous les billets d’avion achetés en France.

Elément moteur dans la recherche de sources innovantes de financement du développement, la France a instauré en juillet 2006 une taxe sur les billets d’avion. Celle-ci finance principalement l’Unitaid, une facilité internationale d’achat de médicaments créée en septembre 2006 par cinq pays, le Brésil, le Chili, la France, la Grande-Bretagne et la Norvège.

L’instauration de la taxe sur les billets d’avion est le résultat d’un long processus lancé à l’initiative du président Jacques Chirac. A la suite de la publication, en septembre 2004, d’un rapport sur les sources innovantes de financement du développement (1), Paris a décidé de soutenir la mise en place de financements additionnels, parmi lesquels les mécanismes d’incitation aux contributions privées, la proposition britannique de Facilité financière internationale (IFF) et les prélèvements de solidarité internationaux. Pour ces derniers, la France met l’accent sur quatre assiettes possibles : contribution à très faible taux sur une fraction des transactions financières internationales, prélèvement sur les flux de capitaux à destination ou en provenance des pays pratiquant le secret bancaire, contribution sur le carburant utilisé par le transport aérien et maritime, et prélèvement sur les billets d’avion.

L’objectif des financements additionnels est de suppléer à l’insuffisance de l’aide publique au développement – sachant qu’une augmentation d’au moins 50 milliards de dollars par an serait nécessaire pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement en 2015 – et surtout à sa déficience en termes de prévisibilité et de stabilité. Ils sont désormais inscrits à l’ordre du jour de toutes les grandes enceintes internationales (ONU, FMI, Banque mondiale, G8, Union européenne). En septembre 2005, lors du Sommet des Nations unies sur la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, 79 pays ont apporté leur soutien à la déclaration sur les sources innovantes de financement du développement, co-parrainée par l’Algérie, l’Allemagne, le Brésil, le Chili, l’Espagne et la France.

Unitaid : plus de 230 millions d’euros escomptés en 2007

Pour prouver la faisabilité des prélèvements internationaux, et sous l’impulsion volontariste de Jacques Chirac, la France décide, en décembre 2005, d’instaurer la taxe sur les billets d’avion, la plus facile à mettre en œuvre. Et organise, les 28 février et 1er mars 2006 à Paris, une conférence ministérielle au cours de laquelle 44 Etats adhèrent au «Groupe pilote sur les contributions de solidarité en faveur du développement». Appliquée à partir du 1er juillet 2006, la taxe est acquittée sur tous les billets d’avion achetés en France. Son montant varie selon la destination du vol et la classe du voyage (de 1 euro par passager en classe économique sur les vols nationaux et infra-européens à 40 euros pour les classes affaires et première sur les autres vols). Environ 50 millions d’euros ont été récoltés en 2006 et il est prévu que le montant atteigne 200 millions d’euros en année pleine.

Lors de la conférence de Paris, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, avait proposé d’utiliser les revenus de la taxe pour financer une Facilité internationale d’achat de médicaments (FIAM), dénommée Unitaid, dans l’optique de faire baisser le prix des médicaments contre le sida, la tuberculose et le paludisme, trois graves pandémies qui touchent les populations les plus pauvres. Unitaid est officiellement lancée le 19 septembre 2006 à New York, en marge de la session d’ouverture de l’assemblée générale des Nations unies, par les représentants des cinq pays fondateurs : France, Brésil, Chili, Norvège et Royaume-Uni (http://www.unitaid.eu/).

En octobre 2006, Philippe Douste-Blazy est élu président du conseil d’administration d’Unitaid, qui est composé de dix membres, dont cinq issus des pays fondateurs : un pour le continent africain, un pour l’Asie, un pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et deux représentants d’ONG. Afin d’éviter toute dérive bureaucratique, le secrétariat et le fonds fiduciaire d’Unitaid sont hébergés par l’OMS. Des partenariats ont été noués avec les organisations internationales existantes en matière de santé (Fonds mondial de lutte contre le sida, etc.) ainsi qu’avec des ONG comme la Fondation Clinton. Unitaid fonctionne dans une «logique de niche». Ses actions prioritaires pour 2007 portent sur la mise au point de formules pédiatriques contre le sida et la tuberculose, la mise en place de traitements antirétroviraux ou antipaludéens de 2e génération à des prix plus bas à destination des pays en développement, de traitements contre la tuberculose multirésistante ainsi que le soutien aux programmes de préqualification de l’OMS. Le ministre français escompte obtenir 230 millions d’euros dès 2007 et jusqu’à 400 millions d’euros à partir de 2009.

De grands absents

Toutefois, seuls 19 pays ont engagé des procédures devant conduire à l’instauration d’une contribution de solidarité sur les billets d’avion ou d’un mécanisme proche pour financer l’Unitaid. Les pays européens sont peu nombreux (Chypre, France, Luxembourg, Norvège, Royaume-Uni), tandis que l’on compte de grands absents comme les Etats-Unis, le Canada, le Japon ou la Chine. En revanche, des pays africains francophones ont adopté ce mécanisme (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Maurice, Mali), ainsi que quelques pays sud-américains (Brésil, Chili, Nicaragua) ou asiatiques (Cambodge, Corée du Sud, Jordanie).
Si le processus d’adhésion à la taxe sur les billets d’avion n’est pas terminé (l’Espagne et l’Algérie ont annoncé leur intention de la mettre en œuvre), d’autres financements innovants en faveur du développement ont été lancés comme la Facilité internationale de financement pour la vaccination ou IFFIm (International Finance Facility for Immunisation) (http://www.iff-immunisation.org/), projet pilote de l’IFF appliqué à la vaccination. Créé en février 2006 à l’initiative de la Grande-Bretagne avec le soutien de pays européens (Espagne, France, Italie, Norvège, Suède), du Brésil et de l’Afrique du Sud, l’IFFIm a pour objet de mobiliser des capitaux garantis par des engagements de donateurs sur une période de dix ans pour financer les activités de l’Alliance GAVI, qui rassemble les principaux acteurs de la vaccination. En novembre 2006, l’IFFIm a émis avec succès sur les marchés financiers des obligations pour 1 milliard de dollars. A terme, il est prévu de mobiliser 4 milliards de dollars au cours des dix prochaines années sur les marchés internationaux des capitaux, ce qui devrait permettre de vacciner plus de 500 millions d’enfants et de sauver 10 millions de vies.

par Isabelle Verdier

Article publié le 06/02/2007 sur RFI.fr

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