10.10.06

Afrique du Sud

Cida, une école de gestion révolutionnaire


Fondée en 2000, l’Ong «Campus Cida» offre un enseignement de qualité à 3 000 étudiants noirs démunis.
(Photo : Valérie Hirsch/RFI)


Comment rendre les écoles de gestion accessibles aux élèves démunis ? A Johannesburg, le campus «Cida» a imaginé des formules innovantes pour réduire les coûts et faire participer les entreprises privées. Un exemple unique en Afrique.

Floyd Ndlovu a erré pendant deux mois dans les rues de Johannesburg, en chapardant pour survivre : «J’avais passé brillamment mon bac au Kwazulu-Natal, raconte-t-il. Je n’avais pas d’argent pour poursuivre mes études, mais je ne voulais pas me résigner à un emploi mal payé, sans perspective. Alors, je suis venu à Johannesburg et un jour on m’a parlé du campus Cida». Ndlovu, 20 ans, s’est aussitôt inscrit pour une licence en gestion de quatre ans (BBA) pour un coût annuel (190 euros), dix fois inférieur à celui d’une grande école.

Fondé en 2000, l’ONG «Campus Cida» (Community and individual development association) offre un enseignement de qualité à 3 000 étudiants noirs démunis : 1 300 font le BBA et les autres des formations d’un an (call centre, banque, administration). La cheville ouvrière et visionnaire du campus se nomme Taddy Blecher, 54 ans : «Je travaillais dans le secteur des assurances. Après l’arrivée de l’ANC au pouvoir, comme beaucoup de Blancs, j’ai décidé d’émigrer. Mais deux semaines avant mon départ, en 1995, j’ai eu mon “épiphanie“, ma révélation !». Blecher a défait ses valises pour participer à la lutte contre la pauvreté. «Nous avons commencé avec des bouts de ficelle, se souvient-il. Pour les cours d’informatique, on avait photocopié des claviers d’ordinateur !».

Pas question de ne rêver qu’à sa future BMW


Mais, petit à petit, de grandes entreprises sud-africaines et des multinationales ont cru au projet : une société d’assurance a donné un bâtiment de six étages, d’autres ont construit des dortoirs, donné du matériel, etc. Près de la moitié des étudiants sont aussi sponsorisés par des entreprises ou des donateurs privés, qui couvrent leurs frais de scolarité et de logement. Les jeunes peuvent même emprunter des vêtements, fruits de collectes organisées dans les entreprises.

Le «campus Cida », qui ne reçoit aucune aide publique, se vante d’avoir trouvé une centaine de formules pour minimiser les coûts de fonctionnement. Les élèves entretiennent ainsi eux-mêmes les locaux et préparent le repas de midi, gratuit. Dans un couloir, un groupe de première année s’apprête à aller laver des voitures : «Nous faisons une compétition pour le projet qui rapportera le plus d’argent», explique Sarah Biyo.

«On les encourage aussi, au travers d’une Fondation, à créer des micro-entreprises dans leurs communautés d’origine, explique Walter Taba, un Camerounais chargé du contrôle de la qualité. Pendant les vacances, tous les étudiants retournent dans leurs anciennes écoles pour motiver les élèves, en leur donnant des cours. Certains, aussi, se sont occupés d’orphelins du sida». Pas question de ne rêver qu’à sa future BMW… Cette approche humaniste est une caractéristique du campus. «Certains de nos jeunes ont été victimes de violence ou de viol, confie Blecher. On ne peut pas juste leur enseigner des notions de marketing, sans ignorer leur développement personnel !». La méditation transcendantale était d’ailleurs obligatoire, jusqu’à ce qu’un boycott organisé par le syndicat des étudiants y mette fin en 2004. «C’est dommage, déplore le directeur. Mais, il y a tout de même une atmosphère unique et un enthousiasme extraordinaire sur ce campus !».

Essaimer vers le reste du continent

Venus d’écoles négligées sous l’apartheid, les étudiants de «Cida» mettent en tout cas les bouchées doubles : ils passent trois fois plus de temps qu’ailleurs dans les salles de classe pour combler leurs lacunes. «On consacre beaucoup de temps individuel avec chaque élève», ajoute Fred Andongndou, un professeur de marketing, lui aussi Camerounais. Le taux de réussite pour le BBA (entre 60 et 80 %) témoigne du succès de la formule. Deux-tiers des diplômés trouvent un emploi dès leur sortie. «Il leur faut plus de temps que d’autres pour trouver leurs marques, reconnaît Stelogane Manchidi de la société Investec. Mais ils sont incroyablement motivés : la plupart sont les premiers de leur famille à avoir décroché un diplôme et à gagner un bon salaire».

Le collège Cida (dont le nouveau recteur n’est autre que la femme du… président Thabo Mbeki !) espère s’autofinancer d’ici trois à cinq ans  grâce, notamment, à la création de fonds d’investissements et à un système de parrainage par les anciens étudiants. «Nous aimerions aussi créer des petits collèges ruraux, écologiques», ajoute Blecher. Un premier a déjà été ouvert dans le sud du pays, à Knysna. Le campus Cida devrait aussi accueillir des étudiants d’Afrique francophone dans les années à venir. Avec l’espoir d’essaimer dans les pays voisins, puis le reste du continent.

par Valérie Hirsch

Article publié sur www.rfi.fr le 30/09/2006

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